Sobota osmého října. Šabat ve Štrasburku končí v 19:38. Po havdale uklidíme, vyluxujeme drobky z pod stolu a náš syn se chystá do postele. A potom, co mu dám pusu na dobrou noc, otevřu skříň a vyndám dlouhé průhledné plastové pouzdro. Dneska večer, přesně ve 21:30, výjimečně otevře hlavní židovské knihkupectví ve Štrasburku, aby si lidé mohli přijít koupit etrog a lulav, protože svátek Sukot začne nazítří večer.
Na dvoře našeho domu odemknu kolo, připevním na něj elektrická světla a s pouzdem v ruce vyrazím do noci.
Pouzdro měří asi metr dvacet a musím ho držet v jedné ruce a kolo řídit druhou. Nemůžu ho položit napříč přes řidítka, protože bych mohl srazit nějakého nočního chodce a nebo protijedoucího cyklistu. A tak ho držím svisle, jeden konec zaklíněný pod paží a druhý čnící k nebi. Nejedu moc rychle. S poudrem pod paží se na okamžik měním v rytíře, takového, na které jsme si s kamarády hráli: naše kola byli naši věrní oři a my se vyráželi bít s už ani nevím jakým nepřítelem. A tak jedu nocí, pouliční laůpy mi svítí na cestu a šlapky a brzdy povrzávají, podivný a směšný židovský rytíř.
Po deseti minutách jízdy v záři luny, kulaté a bílé svítící přímo nade mnou, uvidím v dálce knihkupectví, které se příhodně jmenuje "Knihkupectví u cedrátu". Jeho dveře jsou otevřené a prosvětluje ulici, prochladlou, jak už to na začátku října bývá. Tohle knihupectví je skutečná štrasburská židovská instituce. Samo o sobě je malinké. Po třech schodech vystoupáme do jeho hlavní části s velkým psacím stolem, který slouží jako prodejní pult a odkladiště. Místnost je dokola obložená policemi s knihami-Mišnou, Talmudem přeloženým do francouzštiny v Artscroll a Steinzsaltz verzích, knížky pro děti, hagady, chumaše, sidury aškenázské i sefardské a mezi nimi na čestném místě i legendární sidur Bloch (čti Blok), nepostradatelný průvodce každého alsaského žida, dbalého místních tradic. Mezi knihami jsou vklíněné chanukije, pohárky na kiduš, svíčky na havdalu a kipy všech možných stylů i velikostí. Když vylezeme ještě po čtyřech malinkých schůdcích, dostaneme se do zadní části obchodu kde vládne kodeš, svaté knihy v hebrejštině, pojednání o halaše, komentáře a komentáře komentářů.
Můj etrog je zpátky ve své krabici a uložil jsem ho do batohu. Prodavač mi zatím připravil do mého pouzdra lulav, tři větvičky myrty a dvě větvičky vrby. Po zaplacení vycházím ven do tmavé noci. Další kupující proudí k obchůdku i přes pokročilou hodinu. Pěšky, na kole i autem. Atmosféra blížícího se svátku je skoro hmatatelná. To je koneckonců něco, co je pro nás, kdo žijeme ve štrasburských židovských čtvrtích (kde se potkávají Židé zbožní i sekulární, ortodoxní a liberální, aškenázští a sefardští) něco samozřejmého ale přesto kouzelného: stačí vyjít na ulici a víte, který den je nebo který svátek se blíží. Před začátkem šabatu pekařství v sousedství prodává beršes (barchesy), o šabatových ránech spěchají nastrojené rodiny do synagog a odpoledne se procházejí, pomalým šabatovým tempem, poté co si po obědě schrupli. Na konci Pesachu, když padne noc a je po havdale, se všichni nahrnou do malých večerek koupit pár lahví piva a tímhle koncentrovaným chamecem definitivně zakončí svátek. A během těch několika dnů. které dělí Jom Kipur a Sukot, začnou na balkónech pučet suky i přes často nepříliš příznivé počasí.
Samedi
8 octobre. Le chabat se termine à Strasbourg à 19h38. Après la havdala, on
range, on nettoie, et notre fils se prépare à se coucher. Puis, après l'avoir
embrassé, j'ouvre un placard et en sors un long étui en plastique transparent.
Ce soir, exceptionnellement, la principale librairie juive de Strasbourg est
ouverte de vingt-et-une heures trente à minuit, afin que les gens puissent
venir acheter étrog et loulav, alors que la fête de Soucot commence le
lendemain soir.
Dans
la cour de notre immeuble, j'enfourche mon vélo sur lequel j'attache deux
lumières électriques, j'empoigne l'étui à loulav et me mets en route dans la
nuit.
L'étui
mesure environ un mètre vingt, et je suis obligé de le tenir d'une main, tout
en conduisant mon vélo de l'autre. Je ne peux pas le poser en travers du vélo,
car je risque de percuter un éventuel piéton ou un vélo qui viendrait à ma
rencontre. Je le tiens donc à la verticale, une extrémité coincée sous le bras,
l'autre pointée vers le ciel. Je ne roule pas très vite. Avec l'étui ainsi tenu
à la verticale, l'espace d'un instant, je me prends pour un chevalier, comme
lorsque j'étais enfant et que je jouais avec mes amis : nos vélos étaient
nos fidèles destriers, et nous partions combattre je ne sais plus trop quel
ennemi. Je m'avance donc dans la nuit, à la lumière des lampadaires et dans le
grincement des freins, étrange et dérisoire chevalier juif.
Après
dix minutes de chevauchée sous la lune qui luit toute ronde et blanche
au-dessus de moi, j'aperçois au loin la librairie qui porte le nom tout à fait
approprié de « Librairie du Cédrat » : la porte est ouverte, et
découpe un rectangle de lumière dans la nuit fraîche de ce début du mois
d'octobre. La librairie est une véritable institution au sein de la communauté
juive strasbourgeoise. L'endroit est tout petit : on y entre après avoir
grimpé trois marches. La pièce principale compte un bureau, qui fait office de
comptoir, et de multiples rayonnages sur lesquels on trouve la Michna, le Talmud traduit en français dans la version
Artscroll et la version Steinzsaltz, des livres pour enfants, des hagadot, des houmachim
et différents sidourim, achkénazes et séfarades, dont, évidemment, le sidour
Bloch, sidour de référence pour tous les juifs alsaciens attachés au minhag
local. On trouve également des hanoukiot, des verres à kidouch et des
kipot de toutes sortes et de toutes tailles. Après avoir grimpé un petit
escalier de quatre marche, on pénètre dans l'arrière-boutique, où se trouvent
les livres de kodech en hébreu, livres de halakha, commentaires et commentaires
de commentaires.
Lorsque
j'entre dans la boutique exiguë, une quinzaine de personnes sont déjà
présentes : des hommes, surtout, quelques enfants, et deux femmes. Le
patron court dans tous les sens, pour s'occuper des différents clients :
il a sollicité plusieurs de ses fils, jeunes adultes, pour faire face à
l'afflux de clients. Sur des tables pliantes posées çà et là, on trouve des
boîtes en carton ouvertes, contenant chacune un étrog. Il y a également les
différentes espèces composant le loulav : palme (le loulav en tant que
tel), myrte (hadassim) et saule (aravot). Le patron et ses fils aident les
clients à composer leur loulav. Il y a trois catégories de prix et de
qualité : premier prix (vingt-cinq euros), prix moyen (quarante euros), et
« qualité supérieure » (soixante euros). Comme chaque année, je
choisis le premier prix, qui nous suffit amplement et nous permet d'accomplir
la mitsva chaque matin durant toute la durée de la fête. Comme chaque année,
l'un des vendeurs me montre un étrog, puis un autre, et comme chaque année, je
choisis le premier qu'il m'a montré, j'y jette un coup d'oeil rapide, je
vérifie que sa couleur me plaît, et je décide de l'acheter ; comme chaque
année, le vendeur me semble presque déçu que j'aie fait mon choix en moins de
deux minutes, sans prendre le temps d'étudier le reste de la marchandise
disponible. Certains clients étudient l'un après l'autre chaque étrog : on
examine, on soupèse, on compare l'aspect de celui-ci et de celui-là, avant de,
peut-être, trouver enfin l'étrog parfait, celui qui, du fond de sa boîte,
semble nous attendre depuis la Création du monde, comme s'il avait été caché là
par Dieu lui-même.
Mon
étrog est placé dans une boîte en carton, que je range dans mon sac à dos. Le
vendeur range dans mon étui le loulav, les trois rameaux de myrte et les deux
rameaux de saule. Après avoir payé, je ressors dans la nuit noire. Les clients
vont et viennent, entrent et sortent de la boutique, malgré l'heure tardive.
Ils arrivent à pied, en vélo ou en voiture. On sent la fébrilité de la fête qui
est désormais imminente. C'est d'ailleurs ce qui, pour nous, qui vivons dans un
quartier juif (où se côtoyent Juifs religieux et Juifs laïcs, orthodoxes et
libéraux, achkénazes et séfarades) à Strasbourg, est irremplaçable : il
suffit de sortir dans la rue pour savoir quel jour on est, ou quelle fête
approche. La veille de chabat, la boulangerie à côté de chez nous vend des « berchess »,
la version alsacienne-allemande des halot ; le chabat matin, en habits de fête, les
familles se hâtent vers les différentes synagogues, et l'après-midi, elles se
promènent d'un pas lent, chabatique, après la sieste ; le dernier soir de
Pessah, à la tombée de la nuit, dans les petites épiceries ouvertes à
toute heure, on se précipite pour acheter quelques bouteilles de bière et
marquer la fin de la fête avec ce concentré de hamets ; et, durant
les quelques jours qui séparent la fin de Yom Kippour du début de Soucot, les
cabanes se mettent à pousser sur les balcons, malgré un ciel bien souvent
incertain.
Après
avoir détaché le cadenas de mon vélo, j'enfourche à nouveau ma fidèle monture.
Je coince mon étui à loulav en plastique sous mon bras, comme une lance. Je le
tiens à la verticale, pointée vers la lune. Dans la nuit, je distingue mes
pairs, mes frères d'armes, je reconnais mes preux, étranges et dérisoires
chevaliers juifs équipés d'une fine branche de palmier et d'un citron. Dormez
tranquilles, habitants de la ville : nous rejoindrons bientôt nos fragiles
châteaux de bric et de broc recouverts de branchage, mais pour l'heure, perchés
sur nos destriers dont les freins grincent, nous veillons sur votre sommeil.
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